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La lettre sous la porte :
Assis devant son bureau en mâchonnant son crayon, l’enfant semblait ailleurs, perdu, distrait, songeur…
Les élèves écrivaient, qui en tirant la langue, qui en souriant, tous concentrés sur leur copie. N’y avait-il que son crayon, à lui, à faire du sur-place ? Sur sa feuille, quelques pâtés, des pattes de mouches, des fils indiennes de fourmis. Dans sa tête un imbroglio épouvantable de sons, de lettres qui tournoyaient d’un neurone à l’autre sans jamais pouvoir se connecter. Se connecter à qui, à quoi d’ailleurs, l’enfant n’en savait rien. Le m passait sans s’arrêter devant m, b, p, le g bousculait le ch qui lui même interpellait le j, les voyelles jouaient à cache-cache ou à saute moutons, le i par-dessus l’o, le u à l’envers formant un pont, le a roulant dessous, le y n’en parlons pas, toujours à part, snobant les autres. Une ribambelle de fanfarons qui se doublent, qui se dédoublent, un n de plus, un p de moins, une horrible cacophonie, qui tournait au cauchemar. Quand le brouhaha s’interrompit, c’était le moment crucial de la relecture…
L’enfant, dans sa panique, sentit une envie pressante, stressante de s’enfuir. Il décida d’aller faire pipi. Se trémoussant il leva le doigt, l’instituteur soupira, fit oui de la tête. L’enfant se précipita hors de la classe vers les toilettes.
Quand il revint, comme d’habitude, il était trop tard, au mur la carte de géographie. Les autres récitaient les départements, les chefs-lieux, les préfectures et sous-préfectures, lui, était encore à dix mille lieux.
Il regarda tristement sa feuille barrée d’un grand trait rouge, il s’attendait à la suite, la colle pour le jeudi, la dictée à copier 10 fois, la punition des parents, la sévérité du directeur, l’incompréhension de tous…
Pourtant, ces mêmes lettres ne les aimait-il pas, si belles, bien alignés avec des majuscules devant les minuscules, dans le livre de grand-maman ?
Ces phrases si jolies quand c’est mamie qui lit et qui, le soir, racontant une histoire, l’abreuve de mots faisant naître des images.
Oui, il les aime ces lettres, ces mots qui lui parlent à cœur, bien au chaud dans sa chambre, juste avant d’éteindre la lumière. Mieux, ils l’attirent, le fascinent, l’apostrophent… Une lettre surtout, lui plaît. À l’heure de lui dire bonsoir, mamie dépose son baiser et murmure « je t’aime », en embrassant chacune de ses paupières. Il n’entend, ne voit que les « m » qui se glissent sous la porte de ses yeux. Deux m qui lui ouvrent le plus beau des livres d’images, le plus beau des voyages, celui du rêve bercé par la tendresse de sa grand-mère.
Quand il sera grand, qu’il aura dompté les lettres, il le sait, il le sent, il sera collectionneur de mots, conteur, poète pour rassurer les enfants qui ont des lettres jouant au chamboule tout dans la tête.
ABC
Merci aux autres participants :
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Commentaires
Qu'elle est belle et poétique ton histoire !J'espère que l'enfant devenu grand, parvient à présent à faire des farandoles de mots pour égayer sa grand-mère devenue très très vieille ! Bonne journée à toi. Amitiés. Joëlle
Certains enfants ont du mal à apprivoiser les mots, mais tu as su l'écrire avec sensibilité et talent. j'ai cru voir les lettres se bousculer sur la page de l'enfant et il m'a communiqué son malaise, son mal-être.
Alors, sa mamie est arrivée, avec toute sa tendresse, et j'ai fermé les yeux pour l'écouter me lire son livre, celui qui aura fait de son petit-fils un écrivain.
Ton récit est superbe, ABC. J'ai adoré !
Un très joli texte pour ce petit garçon fâché avec les lettres mais qui, peut-être, devienddra un grand écrivain !!!
Bon W.E.- bisous
Les m qui se glissent sous la porte de ses paupières, joli... Ah dur dur les débuts peuvent "lettres".... merci ABC ;-)
Bonjour Annick,
C'est tellement beau ce texte.
Les premières fois, oui, c'est difficile d’appréhender ces fichues lettres. Puis ça vient . Et, O miracle, ça nous ouvre un vaste monde de voyages immobiles. Mais en attendant, le pauvre Pitchoun souffre pour dompter tout cet alphabet!
Navrée, mais, avec tout ce qui se passe dans mon quotidien, j'ai oublié.. en te lisant, je me dis que c'était bien difficile de rivaliser. Superbe inspiration. bravo Annick. J'irai plus tard découvrir les deux autres participations
Bises de bonne journée
comme elle est belle cette histoire de lettres
je me souviens au "jardin d'enfant" la maternelle n’existait pas encore, de de m !
Une lettre qui coule, pleine d'espoir pour l'enfant .Certaines grands-mères ont ce talent, avec ces sentiments de douceur, d'amour du petit, la tendresse pour l'accompagner dans ses efforts et le goût pour l'apprentissage, qui peu à peu accompagne aussi l'enfant , pour lui donner confiance en lui .Si tous les enfants qui peinent , pouvaient avoir auprès d'eux, cette grand-mère ou une autre personne pour le guider et l'entourer , ce serait génial !
Oh ! C'est vraiment superbe que cela ABC ! Bonne poursuite de ce samedi et week-end tout entier !
Les lettres sont capricieuses et tourbillonnent
ou tombent en avalanches devant les yeux effarés des enfants...
Mais il suffit parfois d'une mamie
qui sait elle, apprivoiser toutes les lettres en commençant par la plus belle!
"M"...
Beaucoup d'émotions dans tout ton texte
et ta conclusion on la savoure
elle est tellement pleine de "m"....
Merci pour cette belle page à lire en début de CP et même de GS...
Ce conte est magnifique .Tu décris si bien , avec détails , ces moments de difficulté et ces moments de rêve. Je l'ai relu plusieurs fois avec grand plaisir.Belle soirée, bon dimanche , bises Annick
Belle histoire ABC
chacun devrait pouvoir voir tout au long de sa vie la lettre M se faufiler sous la porte de sa demeure!
Bonne nuit ABC.
il faut le tps pour apprendre et certains mettent plus de tps que d'autres pour savoir écrire et lire mais ça vient petit à petit mais dommage pour lui il n'aura pas une bonne note
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C'est un très beau texte plein de sensibilité qui montre très bien la difficulté de l'apprentissage de l'écriture et de l’orthographe chez certains enfants. J'ai adoré vraiment. Je n'ai pu participer et je suis désolée de n'avoir pas eu l'inspiration (le thème était un peu voisin de celui de lundi prochain des croqueurs pour lequel d'ailleurs je cherche encore l'inspiration). Bon week-end.